1er octobre, 19 heures, Angers (49) — Des dizaines de personnes se pressent à l’entrée du centre des congrès d’Angers, sous l’œil de la compagnie de CRS qui encadrent le lieu. La circulation est interrompue. Le service de sécurité de l’événement est plutôt à cran. Ce soir a lieu l’édition angevine de la Nuit du Bien commun, soirée caritative cofondée en 2017 par le milliardaire d’extrême droite catholique, Pierre-Édouard Stérin, exilé fiscal en Belgique.
StreetPress a tenté de s’y faire accréditer, sans succès — même si plusieurs mails ont été envoyés. Qu’importe, on gratte à la porte. En haut des escaliers, un homme vêtu d’un pull-over siglé « Nuit du Bien commun », dont dépasse le col de sa chemise, scrute la rue. « Redonnez-moi votre nom ? Je vais aller demander à l’intérieur », promet-il, avant de passer le cordon de sécurité. Il ne ressortira pas.
Pour entrer dans la soirée, les participants qui défilent en doudounes sans manches, foulards en satin et mocassins doivent montrer patte : deux bénévoles scannent leurs billets et vérifient leurs pièces d’identité, avant de passer à la fouille. Alors que StreetPress tente de discuter avec certains visiteurs, l’un des organisateurs de la soirée montre à l’équipe de sécurité une photo sur son téléphone portable, en nous désignant.
« Il va falloir partir maintenant », lance l’un d’entre eux alors que nous discutions avec l’une des bénévoles, qui sont immédiatement rapatriées à l’intérieur du bâtiment. Malgré nos demandes, impossible de connaître la raison du refus de notre accréditation. « Si vous avez des questions, posez-les directement aux organisateurs par mail. » Tant pis. Demi-tour, sous l’œil amusé d’un retardataire. Sur sa veste sans manches est brodé le logo de SOS Calvaires. Cette association érige et rénove des croix géantes partout en France. Elle se dit apolitique mais fricote avec une bonne partie de l’extrême droite radicale. Elle est également l’une des lauréates devant recevoir de l’argent lors de ce gala de charité.
En Anjou, l’extrême droite sous pavillon associatif
À plusieurs centaines de mètres, sur le parvis de l’hôtel de ville, l’ambiance est plus chaleureuse. Depuis 18 h 30, plus de 400 personnes se sont rassemblées à l’appel des syndicats et groupes antifascistes angevins pour rappeler leur opposition à la tenue de l’événement et à ce qu’il représente. Si Pierre-Édouard Stérin a quitté le conseil d’administration du fonds de dotation en juin, son ombre plane toujours sur l’événement décliné dans plusieurs villes de France et contre lequel des manifestations sont régulièrement organisées.
À LIRE AUSSI : Comment Stérin a bénéficié d’un coup de pouce d’une collectivité de Charente-Maritime pour sa Nuit du Bien commun
À Benon (17) — où StreetPress a révélé que la Nuit du Bien commun a bénéficié d’un coup de pouce d’une collectivité locale —, les manifestants étaient de sortie pour protester contre le milliardaire, qui veut faire triompher l’extrême droite aux élections. En Anjou, les manifestants rappellent que l’extrême droite radicale avance sous pavillon associatif. L’Alvarium, groupuscule néofasciste officiellement dissous en 2021, a connu plusieurs structures qui lui permettaient notamment de louer des locaux. « Ils en changent régulièrement pour toujours garder un coup d’avance et brouiller les pistes », explique Thomas, membre du Réseau angevin antifasciste (Raaf). « Encore aujourd’hui, ils ont un bar associatif, qui est peu ouvert mais leur sert de base arrière. » Depuis la dissolution de l’Alvarium, les néofascistes s’éloignent d’Angers :
« Ils vieillissent, ont des enfants et préfèrent s’établir dans la campagne où ils ont des terres, des propriétés, un réseau d’entreprises… »
Les militants d’extrême droite ont jeté leur dévolu sur Le Lion-d’Angers (49), bourgade de 5.000 habitants située à 25 kilomètres de là. « Ils sont arrivés l’année dernière en disant qu’ils voulaient louer le Café des Sports, et depuis, ils sont tout le temps là, et de plus en plus décomplexés », explique Marie, une habitante du Lion d’Angers qui fait partie du collectif antifasciste citoyen « Bien vivre ensemble au Lion d’Angers », qui s’est constitué dans la ville.
À LIRE AUSSI : L’Alvarium continue ses activités malgré la menace de reconstitution de ligue dissoute
Aujourd’hui, l’association — locataire du café — n’a pas d’agrément lui permettant de recevoir du public. Mais le réseau qui l’accompagne est, lui, bien installé. « Ils tissent des liens avec des entreprises locales. SOS Calvaires partage des locaux avec une entreprise de menuiserie liée à une famille d’extrême droite bien connue de la région. Ils veulent s’installer ici. » Pour viser les municipales ? « Ça nous étonnerait qu’ils y arrivent, car il faut 30 personnes pour constituer une liste », nuance Marie. Elle continue :
« Mais c’est aussi pour ça qu’on documente leur présence. On veut éviter qu’ils se normalisent et rentrent dans le paysage avec des associations et des entreprises comme ça a été le cas à Angers. »
De l’argent pour le lycée favori de l’extrême droite
Derrière sa façade caritative, la Nuit du Bien commun d’Angers soutient cette année, entre autres, les intégristes de SOS Calvaires mais aussi la ferme pédagogique d’Orveau. « Un projet d’entre soi bourgeois pour distribuer de l’argent au lycée intégriste du coin », souffle un manifestant devant l’hôtel de ville d’Angers. L’asso est liée au lycée Notre-Dame d’Orveau — établissement favori de toute une frange de l’extrême droite, jusqu’à la plus radicale — comme l’avait présenté StreetPress. Les enfants de la très haute bourgeoisie d’affaires y côtoient les descendants de leaders politiques réactionnaires ou de l’extrême droite, de Marine Le Pen à Philippe de Villiers. La fratrie Gannat, des militants néofascistes venant d’une famille plus que radicale et implantée dans la région, y ont fait leurs classes.
À LIRE AUSSI : Notre Dame d’Orveau, le lycée favori de l’extrême droite
La ferme pédagogique d’Orveau ou SOS Calvaires ont pu récolter une partie des 230.000 euros distribués lors de cette Nuit du Bien commun angevine. Mais une autre association liée aux radicaux de l’Alvarium et domiciliée à quelques kilomètres du Lion d’Angers a aussi tenté sa chance d’être au gala caritatif, révèle « Ouest France » : les Amis de Saint René Goupil. Le Raaf a documenté les très nombreux liens avec l’extrême droite de l’Anjou de cette asso qui veut sur le papier retaper des maisons. Ils n’ont finalement pas été retenus pour cette édition de la Nuit du Bien commun.
Lors de la première édition de l’événement à Angers en 2023, le journal indépendant local « La Topette » a documenté comment la sphère catholique ultra-conservatrice a avancé à visage couvert. À l’époque, le parrain de la soirée était des adjoints au maire, Roch Brancour (LR), connu pour avoir refusé de célébrer des mariages de même sexe, mais aussi pour une affaire de conflits d’intérêt autour d’une école du réseau catho-tradi Espérance Banlieues, encore une fois documentée par La Topette. Cette année, le maire d’Angers, Christophe Béchu (Horizons), a assuré qu’aucun de ses édiles ne serait présent à titre d’élu.
Pourtant, cette année encore, Roch Brancour était de la partie, à titre personnel selon le correspondant de « Ouest France » — seul journaliste accrédité. Pour rentrer, il a dû signer une décharge l’engageant à ne prendre ni photos ni vidéos à l’intérieur du centre de congrès. Ce qui ne l’a pas empêché de signaler la présence de plusieurs édiles connus pour leurs positions réactionnaires, ainsi que de Jean-Eudes Gannat, visage des néofascistes en Anjou. (1)
(1) Ajout d’information ce vendredi 3 octobre 2025 à 16 h 55.
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER

